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Tentatives - Les notes de Nico

Pour aller plus loin

Note #5 - Avatar (2009)

Publié le 14 Avril 2015 par Arthur Jeannot

Développement de la vie

La vie imaginée sur Avatar est-elle cohérente avec ce que la science connaît et suppose ?

Tous les auteurs de science-fiction de type "planet opera" se sont posés la question : comment vais-je créer mon monde ? Et tous les auteurs de science-fiction de type "planet opera" qui désirent respecter une cohérence scientifique se posés LA question qui nous intéresse : à quel point vais-je faire ressembler mon monde à celui de la Terre ? Scénaristiquement parlant, cela revient à se demander : dans quelle mesure vais-je m’inspirer de la Terre et dans quelle mesure vais-je créer de nouveaux éléments ?

Au début du XXème siècle, avec l’âge d’or des histoires de science-fiction, les mondes extra-terrestres ne sont d’abord que des transpositions des constructions terrestres sur d’autres planètes avant d’avoir tendance à se complexifier par la suite. Prenons l’exemple de "A Princess of Mars" (écrit sous forme d’épisodes en 1912, je vous laisse traduire le titre tous seuls), premier livre du "Cycle de Mars", un classique considéré comme le fondateur du genre planet opera. Le personnage principal, John Carter, tombe amoureux d’une princesse humanoïde (celle du titre, oui), pourtant il croise aussi des créatures de quatre mètre de haut à six membres et qui pondent des œufs (bon, la princesse aussi pond des œufs, c’est juste pour dire que l’auteur explore tout de même d’autres voies biologiques que celles que nous connaissons).

Le développement de la science-fiction actuelle nous fait nous poser de multiples questions, tant sur des détails biologiques comme les œufs, les pattes, la taille, la nourriture ou la respiration que sur les relations proies-prédateurs, l’organisation des colonies ou l’essor de la vie dans sa conception nietzschéo-spinozienne. Pour chaque élément, les questions se résument au final à celle-ci : les principes biologiques que nous observons et comprenons sur Terre sont-ils intrinsèques à la vie (auquel cas on les retrouve systématiquement sur d’autres mondes, sauf cas d’exception qui confirme la règle) ou contextuels au monde que nous connaissons (auquel cas les règles de base peuvent s’exprimer différemment sur d’autres mondes) ?

Pour répondre à cette épineuse question, il faut garder à l’esprit que nous n’avons d’assurance absolue sur aucun point (à part que j’ai raison, cela va sans dire). Certains points peuvent sembler plus évidents que d’autres, il est pourtant important de rester ouvert dans une démarche d’exploration des possibilités, même si on peut comprendre que des scientifiques travaillant avec ardeur sur un sujet puissent céder à la tentation de lancer des piques sur un sujet qui paraît s’y opposer. Avant de passer en revue les étapes de l’émergence progressive de vie, que les scientifiques étudient aujourd’hui (en s’attardant plus sur les hypothèses que sur les certitudes, histoire d’avoir quelque chose à écrire), il est important de définir un terme fondamental en biologie évolutive : la convergence (terme tout aussi fondamental en optique, mais gardons le focus).
Pour ce faire, prenons l’exemple classique mais facile à comprendre (et désolé de vous mettre la pression si vous ne comprenez pas) des ailes. Regardez une aile d’oiseau, une aile de chauve-souris, une aile d’insecte. A première vue, c’est pareil : il y en a un nombre pair, ça sert à voler, on a appelé ça une aile. Qu’est-ce qui ressemble plus à une aile qu’à une autre aile (à part un bol de riz qu’on a oublié pendant trop longtemps au soleil) ? Mais quand on regarde de plus près, on se rend compte que finalement, non, ce n’est pas du tout pareil. Les ailes des oiseaux sont les membres supérieurs couverts de plumes, les ailes des chauves-souris sont les avant-bras avec une membrane reliant les très longs doigts, les ailes des insectes sont des extensions tégumentaires de l’exosquelette. Limpide, non ? Et encore, on n’a pas évoqué les plantes (notamment certains fruits), les poissons volants (par des nageoires spécifiquement développées) et les reptiles volants (comme les dragons). Grâce à ces exemples, on voit que des mêmes contraintes (ici, voler), peuvent mener au développement d’organes analogues bien qu’ayant une origine totalement différente les uns des autres (ici, les ailes).

Un exemple encore plus frappant est celui de la taupe (j’aurais pu faire la même explication avec les loups, mais je préfère les taupes). On trouve des taupes par exemple en Europe et Australie. Bon, ça creuse la terre, ça bouffe des vers, ç’a une tête de taupe, c’est pareil ! Eh bien non : quand on regarde de très près (avec l’œil du scientifique, tout de même, c’est plus sournois que pour les ailes), on se rend compte qu’il s’agit de cousins extrêmement éloignés. En effet, les taupes d’Europe sont des mammifères placentaires et les taupes d’Australie sont des mammifères marsupiaux (cela signifie que, au-delà des apparences, une taupe d’Europe ressemble plus à un être humain qu’à une taupe d’Australie). Si les contraintes du milieu (pour savoir lesquelles précisément, je vous laisse creuser la question) ont pu mener au développement de deux familles de taupes sur des continents entièrement différents, il est alors tout à fait concevable qu’un ensemble particulier de contraintes puisse mener au développement de deux familles d’humanoïdes sur des planètes entièrement différentes.

Autrement dit, être taupe est-il une conséquence intrinsèque du milieu (une espèce placée dans ce milieu finira par évoluer vers la morphologie de la taupe) ou une conséquence contextuelle du milieu (on a tout de même démarré avec des mammifères, et des espèces d’autres genres s’en sortent elles aussi très bien, comme les vers de terre – sauf lorsqu’ils se font bouffer par des taupes, cela dit) ?

Et pour ce qui nous intéresse, est-ce qu’être humanoïde est intrinsèque au milieu ou contextuel à la Terre ?

I – Développement des premières molécules organiques.

Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la génération spontanée faisait partie des croyances populaires. Quoi de plus normal, quand on voit des asticots sortir "spontanément" d’un morceau de viande ou des microbes apparaître "spontanément" sur des milieux aussi divers que variés ? Au début du XXème siècle, les expériences de Pasteur, dans le cadre de la célèbre controverse à l’Académie des Sciences sur cette question de la génération spontanée, montrent que la vie n’apparaît pas spontanément (du moins, à l’échelle de temps et d’espace d’un laboratoire). Pour cette raison, utiliser le terme de "génération spontanée" de la vie provoque des réactions viscérales chez les scientifiques (pouvant aller jusqu’à la rupture d’anévrisme dans les cas extrêmes), alors qu’il faut bien que la vie soit apparue à un moment de l’évolution. Il s’agit en fait d’une génération spontanée progressive de la matière vivante, et deux axes de recherches tentent d’expliquer l’apparition des premières molécules organiques il y a environ 3,8 milliards d’années.

Le premier axe de recherches est la création d’une soupe primordiale, c’est-à-dire l’évolution chimique de matière prébiotique ("avant la vie", car pas encore organisée en cellules) à partir d’un environnement riche en matières organiques (des combinaisons de carbone, d’azote et d’oxygène, autrement dit tout un tas de trucs et de machins que l’on appelle des molécules simples). L’expérience historique de Miller et Urey dès 1952 a permis d’étayer cette hypothèse chimique, puisque les scientifiques réussissent à synthétiser de nombreux monomères simples en appliquant diverses sources d’énergie au milieu supposé de la Terre primitive. Ces résultats ne sont néanmoins pas définitifs puisque, même si de nombreuses molécules organiques complexes ont été synthétisées, ont aussi été synthétisées des molécules absentes de notre monde et n’ont pas encore réussi à être synthétisées des molécules indispensables à notre monde. Fichtre.

Le deuxième axe de recherche est la panspermie, c’est-à-dire l’ensemencement de la surface terrestre par des monomères issus de la chute de météorites (astéroïdes ou comètes). Même si les conditions dans les nuages de gaz et de poussières interstellaires peuvent être qualifiées d’extrêmes, la chimie organique y est particulièrement active grâce aux particules du rayonnement cosmique. Les radioastronomes y ont ainsi identifié de nombreuses molécules organiques, ce qui fait que les météorites possèdent fréquemment des molécules riches en carbone et d’autres composés. Il suffit de combiner la forte activité météoritique de cette époque à une durée de plusieurs centaines de millions d’années pour que ces molécules extra-terrestres (des molécules venues d’ailleurs, non pas d’autres planètes mais d’autres objets célestes) ensemencent la surface terrestre – voire ensemencent une soupe primordiale, puisque les deux théories citées ne sont pas incompatibles.

Voici l’état simplifié des connaissances et des hypothèses sur le comment du développement des premières molécules organiques. Apparition locale d’une soupe primordiale ? Panspermie ? Combinaison des deux ? Un autre mécanisme inconnu intervient-il ? Les Nephilims de la Genèse sont-ils descendus sur Terre afin de transmettre leur ADN et ainsi mener à l’avènement de l’humanité (big-up à tous les Raëls dans le monde !) ?

Quoi qu’il en soit, revenons à la question qui nous anime dans cette note (si vous êtes encore en train de la lire, attention accrochez-vous parce qu’après il reste encore cinq parties et la conclusion) : l’apparition de la vie est-elle intrinsèque ou contextuelle ? Autrement dit, lorsque les conditions adéquates à la vie sont réunies sur une planète, à quoi conduit la dynamique de l’Univers (à part 42) ? A la vie de manière nécessaire (comme un gaz remplit nécessairement tout l’espace qui lui est disponible) ou à la vie sous telle forme si on a de la chance (comme un liquide coule là où le hasard des formes de son support le porte) ?

Avant de passer à la partie suivante, mettons-nous d’accord sur ce que l’on entend par les conditions adéquates à la vie, grâce auxquelles on définit la zone d’habitabilité dans une région de l’espace. En exobiologie, on admet généralement que les conditions nécessaires au développement de la vie sur un corps céleste sont la présence d’éléments essentiels (avec notamment le carbone et l’eau liquide), l’existence d’une source d’énergie et des conditions de pression et de température favorables. Qu’en est-il sur Terre ?

Pour les conditions de pression et de température favorables, il s’agit de limites physiques à priori difficilement franchissables, même si la découverte de nombreux micro-organismes extrêmophiles sur Terre montre qu’elles ne sont pas forcément aussi étroites qu’on pourrait l’imaginer (pour certains d’entre eux, passer à 110°C signifie juste qu’il est l’heure d’aller prendre le thé). Pour l’existence d’une source d’énergie, on pense souvent à la lumière d’une étoile, mais la découverte des micro-organismes des sources hydrothermales montrent qu’elle peut être tout autre (voilà pourquoi l’océan d’Europe intéresse tout particulièrement les exobiologistes). Pour le carbone et l’eau liquide, la plupart des chimistes purs d’aujourd’hui auront tendance à vous répondre que rien d’autre n’est possible (la silice a les mêmes propriétés de liaison que le carbone, mais les vitesses de réaction ne sont pas assez rapides dans les conditions terrestres ; que l’eau est un solvant indispensable, mais certains exobiologistes se penchent sur Titan en se demandant si le méthane ne pourrait pas la remplacer dans certaines conditions).

Ces conditions sont-elles intrinsèques à la vie ou contextuelles à la Terre ? Ne choisis pas ton camp, camarade, puisqu’aucune certitude c’est acquise. A la place, choisis ton axe de recherche si tu es scientifique (sachant que plus on est pluridisciplinaire et imaginatif, plus on a envie de s’intéresser aux possibilités de développement différentes de celles connues sur Terre) et intéresse-toi à tout dans tous les cas.

II – Développement des premières organisations cellulaires.

Si on a développé ces questions de conditions adéquates à la vie, ce n’est pas pour le plaisir de vous noyer dans des détails techniques (même si c’est quand même cool), non, c’est pour vous entraîner à ne pas prendre automatiquement pour acquis ce que vous connaissez. La vie sur Terre est faite à base de carbone et nécessite de l’eau : certes, mais est-ce que ce sera le cas partout, quasiment partout ou juste quelquefois ? Cette question se pose pour chacun des points développés dans cette note, vous l’aurez compris. Pour l’instant, on a parlé des molécules biologiques, l’étape suivante est donc de voir comment celles-ci s’organisent en cellules primitives (au niveau métabolique, génétique et physique), il y a environ 3,5 milliards d’années.

Avant de décrire ces trois points (trois points, trois paragraphes, la vie est belle), arrêtons-nous sur de mot de "primitif". En sciences, cela n’est pas péjoratif mais signifie simplement "premier". Dans le développement progressif de la vie (progressif voulant ici dire difficile à définir avec une limite précise de début), il n’y a pas de progression vers un mieux mais une évolution mais où ça peut. Comme de l’air que l’on injecte dans une seringue, la vie prend toute la place disponible, sans que l’on puisse porter un jugement de valeur absolu sur ce que l’on obtient.

Pour cette partie, cela s’applique en premier lieu au métabolisme. Il ne faut pas croire que notre digestion et notre respiration d’être humain est la règle générale (si vous ne me croyez pas, sachez que les microbiologistes ont envisagé qu’une bactérie trouvée dans un lac de Californie aurait été capable de vivre grâce à l’arsenic). Pour faire simple (!), depuis les molécules biologiques de la soupe primordiale d’abord riche en énergie (sous forme de molécules particulières, comme celle que l’on appelle affectueusement l’ATP), "l’explosion démographique de la vie" a considérablement accru les besoins énergétiques. Plus les contraintes étaient fortes, plus les métabolismes efficaces étaient sélectionnés. Cela a donné lieu à l’apparition de la fermentation (recycler l’ATP grâce au glucose), puis de la photosynthèse (produire le glucose grâce à l’énergie de la lumière du soleil). A ce stade-là, la vie eut pour la première fois un impact sur le visage de la planète : une photosynthèse particulière, celle des cyanobactéries, se mit à produire de l’oxygène, tant et si bien que l’atmosphère terrestre devint oxydante il y a 800 millions d’années. Un autre type de métabolisme apparut alors, la respiration (un prolongement des voies de fermentation qui consiste à recycler l’ATP grâce à l’oxydation complète du glucose). Aujourd’hui, ces métabolismes différents existent dans la biosphère, ainsi que dans un même organisme (pour nous, par exemple, la majorité de nos cellules pratiquent la respiration mais les cellules de nos muscles pratiquent la fermentation au début de l’effort).
Autre évolution de la vie, la mise en place d’une organisation génétique. Là encore, on ne démarre pas directement avec le couple ADN / protéines (l’ADN code pour les protéines, les protéines font fonctionner toute la machinerie cellulaire dont l’ADN), mais probablement avec l’ARN (molécule semblable, certains types ayant à la fois la capacité de coder une information et de faire fonctionner la machinerie cellulaire). Par la suite, certains organismes développent l’ADN (qui a de nombreux avantages par rapport à l’ARN, le plus simple à comprendre étant qu’elle est moins fragile), l’ARN prenant d’autres rôles chez eux.

Enfin, puisque l’on parle de cellules depuis tout à l’heure, il faut bien que l’on explique comment se sont créées les membranes qui délimitent les cellules. A partir du moment où les molécules biologiques s’agrègent et se séparent physiquement du milieu extérieur, on parle de protobiontes. Les pistes de recherche sont orientées par exemple sur les argiles (ils pourraient aider à la formation de polymères sur leur surface) ou sur la nanofluidique (à très petite échelle, les molécules d’eau pourraient elles aussi aider à la formation de polymères sur leur surface). De telles hypothèses expliqueraient d’ailleurs pourquoi les molécules du vivant ont le même type de symétrie (mais je ne vais pas plus entrer dans le détail chimique ici, sinon je vais avoir des gens qui râlent).

Vous connaissez désormais (au moins dans les grandes lignes, même si vous n’avez rien compris aux détails que de toutes façons même moi je les ai oubliés) comment se sont organisés les métabolismes, l’ADN et les membranes des cellules sur Terre. S’agit-il des principes fondamentaux du vivant ou la vie aurait-elle pu prendre d’autres chemins ailleurs ?

D’autant plus que je vous ai tout décrit pêle-mêle, mais je n’ai pas précisé dans quel ordre ces étapes se sont déroulées. Bon, là, l’explication est simple : on cherche (pas moi personnellement, mais des spécialistes). Et vous imaginez bien que, si on ne sait même pas dans quel ordre ça se déroule sur Terre, on va être bien en peine de déterminer si cet ordre est intrinsèque ou contextuel à la vie.

III – Développement des cellules eucaryotes.

On a à présent des cellules, délimitées par une membrane (c’est généralement ici que l’on se met à parler de vie au sens strict). Tout est mélangé là-dedans et ça fonctionne très bien, mais certaines cellules vont évoluer pour organiser leur intérieur en plusieurs compartiments. On va donc utiliser le noyau (compartiment spécifique contenant les gènes de la cellule) pour définir les cellules procaryotes (absence de noyau) et les cellules eucaryotes (présence de noyau et d’autres compartiments).

Attention, là encore, il n’y a pas d’idée de progression (ne vous laissez pas berner par l’étymologie, "pro" signifiant "avant" et "eu" "bien"). Les cellules procaryotes primitives se séparent en deux lignées (les cellules procaryotes actuelles et les cellules eucaryotes actuelles), qui sont chacune aussi évoluée l’une que l’autre et qui ont chacune des avantages spécifiques. Demandez à un humain et une bactérie de construire un hélicoptère, c’est l’humain qui gagne (quoique si c’est moi, je suis capable de me faire battre par la bactérie) ; demandez à un humain et une bactérie de se dédoublez toutes les 20 minutes à 100°C, c’est la bactérie qui gagne (ou alors, l’humain a triché).

Comment s’est déroulée cette évolution ? Pour le noyau, on suppose qu’il a été formé par une invagination progressive de la cellule. Pour les autres compartiments, les hypothèses actuelles soutiennent la théorie endosymbiotique, dont vous avez vu passer une explication lors de l’essai. Selon cette théorie, lorsque certaines cellules en phagocytent d’autres (c’est-à-dire qu’elles les mangent), il peut arriver qu’elles trouvent un avantage commun à cohabiter et ne finalisent pas la phagocytose. Au fil des générations, la cellule dévorée deviendra donc un compartiment de la cellule qui l’a dévorée : c’est le cas des mitochondries (anciennes eubactéries, présentes chez les cellules animales et végétales, elles permettent la respiration) et des chloroplastes (anciennes cyanobactéries, présents chez les cellules végétales, ils permettent la photosynthèse). Si on se renseigne sur d’autres formes de vie (champignons, algues, protozoaires, etc.), on peut trouver plein de combinaisons rigolotes (enfin, rigolotes pour un scientifique).

Comme tout en sciences, la théorie endosymbiotique reste une théorie. Autrement dit, une multitude de preuves soutiennent sa justesse, mais rien n’empêche que des découvertes ne fassent progresser nos connaissances. Dans ce cas, une autre voie de symbiose est étudiée (une bactérie établit une symbiose avec d’autres bactéries autour d’elles grâce à des excroissances, formant un réseau de plus en plus serré jusqu’à aboutir à une seule grande cellule compartimentée, une cellule eucaryote). Ce scénario résout plus de mystères que la théorie endosymbiotique actuelle, voilà pourquoi il est à l’étude.

Quoi qu’il en soit, on obtient il y a 1,5 milliards d’années des cellules eucaryotes, qui pratiquent toutes la respiration et qui sont pour certaines capables de pratiquer la photosynthèse. Elles ne se reproduisent pour l’instant que par scissiparité (une cellule-mère donne naissance à deux cellules-filles identiques), mais la sexualité apparaît ensuite (accélérant ainsi les processus évolutifs ultérieurs).

En ce qui concerne la conclusion de cette partie, vous la connaissez : de tels mécanismes sont-ils intrinsèques à la vie ou contextuels à la Terre ?

IV – Développement des organismes multicellulaires.

Par la suite, certaines cellules eucaryotes s’assemblent pour former des organismes multicellulaires (voir la faune d’Ediacara il y a 560 millions d’années). Là encore, cela se fait progressivement.

Les cellules s’assemblent d’abord en colonies, comme le font aujourd’hui le corail ou les éponges. Les cellules sont liées entre elles, mais sont capables de se détacher de la colonie pour aller en fonder une nouvelle ailleurs. Au fil de l’évolution, les cellules de certaines colonies se lient de plus en plus, se spécialisent de plus en plus (par exemple le côté jaune et le côté vert des éponges), jusqu’à former un seul organisme doté de plusieurs cellules spécialisées : un organisme multicellulaire.

Une hypothèse, développée par deux astrobiologistes, vient confirmer cette vision. Selon eux, le cancer serait provoqué lorsqu’une cellule échappe aux systèmes de régulation associés à la spécialisation des cellules, retrouvant un état ancestral autonome (elle va donc devenir étrangère à l’organisme de départ et chercher à fonder une nouvelle colonie, déclenchant ainsi cette prolifération anarchique de cellules que l’on appelle cancer). Cela s’intègre dans la théorie de la récapitulation (on peut observer les traces de notre évolution dans notre organisme) et permet de mieux comprendre le cancer, donc de mieux combattre ce fléau évolutif (qui serait donc intrinsèque à notre état d’organismes multicellulaires).

D’autres mécanismes sont associés au développement des organismes multicellulaires, qu’ils concernent la spécialisation des tissus (comme le tissu nerveux, grâce à l’organisation particulière de cellules sensibles à la dépolarisation électriques) ou la spécialisation des organes (sensibilités, fonctions, régulations). Ils sont de mieux en connus pour les organismes de la Terre, mais vivement qu’on en découvre d’autres (si c’est possible) afin de pouvoir comparer et mieux réfléchir à cette question, dans quelle mesure ces mécanismes sont-ils intrinsèques ou contextuels ?

V – Développement des formes de vie.

Grâce à l’apparition des organismes multicellulaires, la vie peut se développer dans de nouveaux milieux, qui appliqueront eux-mêmes de nouvelles contraintes et conduiront à d’autres voies d’évolution (c’est l’histoire de la vie !). De nombreux mécanismes montrent que le développement de la vie n’est pas un long fleuve tranquille mais un buissonnement tortueux qui ne suit aucune direction : la vie va où elle peut, quand elle peut (un peu comme la plupart de mes journées, donc).

Cela signifie tout d’abord que nulle espèce n’est parfaite. Regardez l’appendice, par exemple. C’est utile pour de nombreux animaux (il s’agit du caecum chez le lapin, indispensable à sa digestion), mais pour l’être humain, à quoi est-ce que ça sert à part faire des crises d’appendicite ? En plus des organes qui nous ne servent plus à rien, ou des organes qui se mettent en place n’importe comme (comme les testicules, avec un risque de rater la descente chez l’humain), on peut aussi parler des organes qui sont mal faits, comme notre œil (l’imperfection de l’œil est plus une preuve qu’il est issu d’une évolution à l’aveugle que sa prétendue perfection). Avec tous ces vaisseaux sanguins qui le traversent et qui peuvent l’aveugler n’importe comment, mieux vaudrait avoir des yeux de rapaces, je vous le dis (sans compter la zone morte dû à notre nerf).

Cela signifie ensuite que la vie ne se dirige pas vers un certain idéal, comme par exemple plus de complexité. On n’a pas de conquête des milieux, mais des évolutions dans des milieux où l’on est adapté (par exemple, il ne faut pas parler de conquête du milieu terrestre mais de terrestrialisation). Si la meilleure solution est la régression (même s’il s’agit plus de nouvelles transformations que de véritables retours en arrière), l’évolution prendra la voie de la régression. On peut réutiliser l’exemple de l’appendice ou parler des dauphins, mais je préfère parler de la queue des hominoïdes (dont fait partie l’être humain) : trace de la queue de notre ancêtre visible chez l’embryon, elle se résorbe dans le corps en croissance pour former le coccyx du bébé.

Cela signifie enfin que l’évolution fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a, comme ça vient. Il s’agit d’exaptations, et là aussi les exemples sont nombreux : le marteau de l’enclume de notre oreille sont issus de la mâchoire de nos ancêtres, les plumes des dinosaures à plumes comme les oiseaux sont issues des écailles de leurs ancêtres, les membres des vertébrés sont supposés être issus de nageoires particulières de nos ancêtres marins.

On débouche alors sur de véritables bricolages évolutifs. Le pire exemple en est l’oxygène, indispensable à notre respiration mais poison pour nos cellules, puisqu’il s’agit d’un des responsables majeurs du vieillissement (niveau bricolage, ça se pose là !). Au final, ce qui compte pour les questions que l’on se pose, ce n’est pas la manière dont on aboutit au résultat, mais le résultat auquel on aboutit.

Les formes vivantes en elles-mêmes ne sont en effet que des résultats contextuels aux événements s’étant déroulés sur notre planète. Mais les différentes formes vers lesquelles les organismes convergent, elles, sont-elles intrinsèques ou contextuelles ? Pour un même ensemble de contraintes, trouvera-t-on des créatures ailées, des taupes et des humanoïdes ou trouvera-t-on d’autres formes vivantes, tout aussi bien développées que les nôtres (voire mieux, n’hésitons pas à aller dans la provocation) ?
Précision importante : si je vous répète à l’envi que l’évolution n’est pas linéaire et encore moins dirigée, ce n’est pas seulement parce qu’il est de bon ton de le dire, mais surtout pour que vous ne vous fassiez pas piéger par le déterminisme et l’anthropocentrisme ambiant. L’idée selon laquelle l’homme est l’aboutissement de l’Univers est encore très présente, ne serait-ce que dans notre inconscient (ou tout simplement dans notre étymologie scientifique), avec des idées pas si anciennes que ça comme la Scala Naturae (les hommes au-dessus, en-dessous les animaux, en-dessous les plantes, encore en-dessous les bactéries, puis les femmes bien sûr, puis les noirs, puis les femmes noires, puis les femmes noires homosexuelles, et enfin comble du comble les femmes noires homosexuelles handicapées – je caricature à peine).

L’humain n’est pas l’aboutissement absolu de l’Univers, certes, mais il représente tout de même un aboutissement selon nos critères : sociétés, technologies, philosophies, créations artistiques, ego. Du point de vue de l’organisation en une forme de vie consciente, cet aboutissement est-il intrinsèque à la vie (tout milieu vivant finira par donner tel tas de trucs, dont des civilisations) ou contextuels à notre planète (tout milieu vivant finira par donner tel ou tel ou tel tas de trucs, dont des bidules qui peuvent parfois être des civilisations) ?

VI – Développement d’une civilisation.

Nous y voilà, le passage des sciences rattachées à la biologie et la biologie évolutive aux sciences humaines. On passe sur les notions d’émergence de la conscience (déjà que c’est difficile de définir la vie, alors je ne vous dis pas pour la conscience), afin d’éviter de se perdre dans les détails et de se heurter à de nouveaux écueils étymologiques comme le cerveau reptilien.
Sur Terre, les seuls animaux conscients à avoir bâti une civilisation (connue, mais ne nous embarquons pas dans d’autres méandres de la science-fiction) sont les êtres humains. En termes de développement de la vie, on peut caractériser notre espèce par l’apparition de la culture. Aux transformations biologiques de l’espèce (les individus les plus adaptés survivent et transmettent leurs gènes, principe de la sélection dite darwinienne) s’ajoutent alors des transformations culturelles (les humains acquièrent des connaissances et les transmettent à leurs descendants, principe de la sélection dite lamarckienne), beaucoup plus rapides (on réussit à détruire la vie en moins d’un millénaire, si ce n’est pas beau ça !).

Pour chaque aspect de nos civilisations, on peut là aussi se demander dans quelle mesure il s’agit d’évolutions intrinsèques ou contextuelles. Pourquoi s’organiser en cités ? Quel est le rôle des chefs ? A quel stade apparaît la sédentarisation ? Tournez-vous vers des sciences comme l’anthropologie ou l’ethnologie (un exemple parmi de nombreux autres, la "Conversation sur la naissance des inégalités" de Christophe Darmangeat), elles peuvent vous révéler des surprises.

Avant de conclure, une dernière réflexion sur notre tendance à mettre des humanoïdes partout. En 1982, le paléontologue Dale Russell a fait une expérience de pensée : si le groupe des dinosaures n’avait pas quasiment disparu il y a 65 millions d’années, aurait-il débouché sur une civilisation ? Il suppose que oui, arguant que ces dinosaures particuliers seraient devenus des dinosauroïdes (ou, pour le formuler autrement, des reptiles humanoïdes).

Dans cette hypothèse, le paléontologue suppose que des caractères comme la bipédie sont indispensables pour devenir intelligent et bâtir une civilisation dans le sens humain du terme, d’autant plus chez les vertébrés. Mais dans l’absolu, est-il véritablement nécessaire d’être humanoïde pour aboutir au développement d’une civilisation ? Sur ce point particulier, on peut dire que la tendance excessive à répondre intrinsèque est un cliché et que la volonté de répondre contextuel est un effort d’imagination.

Conclusion – Est-ce que ça nous avance vraiment, toutes ces affaires ?

A travers ces différentes étapes, du développement des premières molécules biologiques aux civilisations, la vie sur Pandora d’Avatar a-t-elle été créée avec sérieux ? La réponse est définitivement oui, le choix des scénaristes étant celui d’une forte convergence avec notre monde.

Sur Pandora, en effet, on aboutit aux mêmes formes que sur Terre, bien que de manière totalement différente. On a une flore (avec beaucoup de bioluminescence, des tailles maximales très importantes et des communications électrochimiques par les racines), une faune (avec beaucoup d’animaux à six pattes et seuls quelques espèces à quatre membres, ce qui pourrait rendre intéressant l’exercice de tracer l’histoire évolutive de ces grands groupes, même si là encore ça ne ferait rire que moi) et des humanoïdes (mêmes s’ils ont des os en fibre de carbone et sont connectés à la nature).
Pour voir des formes de vie différentes, lisez par exemple le livre "Exquise Planète" aux éditions Odile Jacob, depuis le deuxième quart (écrit par Jean-Sébastien Steyer, paléontologue) au tiers du troisième quart (écrit par Jean-Paul Demoule, archéologue), c’est-à-dire juste avant le plus gros hors-sujet de l’histoire de la littérature intergalactique. On y suit l’évolution biologique d’une vie extra-terrestre, avec des mécanismes comme l’organisation du matériel génétique ou les symbioses (qui sont donc considérés comme des éléments intrinsèques à la vie) et des développements de forme de vie relativement différentes de celles de la Terre (qui sont donc considérés comme des éléments contextuels à la planète étudiée) bien que tombant légèrement dans le cliché des tentacules. Et si vous désirez voir des formes de vie différentes dès le développement de cellules voire des molécules biologiques, plongez-vous dans les livres de SF les plus extrêmes (attention, certains sont encore plus nébuleux que l’ensemble de cette note).

NdN (Note de Nico (ahah)) : La première partie sur la Planète est également très bien écrit. Merci Roland Lehoucq !

A présent, si ces longs développements ne vous ont pas trop dégoûtés de la biologie, n’hésitez pas à vous renseigner plus avant sur tel ou tel sujet grâce aux termes techniques évoqués (pour ma part, je me retiens de citer les derniers mots de Gandalf le Gris à ce propos).

Et renseignez-vous par vous-même sur plein d’autres sujets, qu’il s’agisse de l’évolution du vivant, des effets de la gravité sur l’évolution de la vie ou de l’histoire de la théorie Gaïa.

En espérant avoir éveillé votre curiosité
Arthur Jeannot

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